Deux scorpions dans la neige (Yumiko / Harukô)

Doucement, lentement, l'hiver s'était installé au cœur de l'Empire. Une neige épaisse et duveteuse était tombée pendant la nuit, ensevelissant la capitale sous ses flocons, et faisant chuter la température. Le palais impériale, sous ses reflets bleutés, était plus impressionnant que jamais, alors que des lampions, allumés nuits et jours, perçaient le brouillard. Les routes allaient bientôt fermer, si bien que guerriers et voyageurs seraient contraints de passer la saison entre les murs de la cité, en attendant le printemps.

Les guerres cessant durant cette période, une partie des troupes s'étaient retranchées dans de luxueuses auberges en ville. Chacun s'occupait comme il le pouvait, usant de son or si chèrement gagné pour boire, jouer dans les salles de paris ou s'offrir de la compagnie. Tandis que les généraux se disputaient autour d'une carte en rêvant tout haut aux gloires et aux conquêtes futures, les plus malchanceux organisaient les tours de gardes. Ces pauvres malheureux, engourdis par le froid, vous auraient échangé leur âme contre une bouteille de saké chaud.

Yumiko observait, l'oreille aux aguets, marchant d'un pas léger dans la neige fraîche. Son kimono pourpre et violet ne manquait pas d'attirer les regards, et quelques murmures fusèrent lorsqu'elle atteignit enfin la salle de go, lieu qu'elle convoitait. Amusée par les effets qu'elle pouvait produire sur une foule, la courtisane ne manquait aucune occasion pour se faire remarquer : elle se nourrissait autant de son public que les spectateurs de son image. Déclinant son identité à l'entrée, elle put sentir la chaleur de la pièce consumer ses joues rosies.

Ses grands yeux embrassèrent la pièce, et s'attardèrent sur un homme, un Daimyo du clan de la Grue. Ses cheveux longs et blancs laissaient paraître un âge avancé, mais c'est d'avantage la qualité de son sabre et le ton sur lequel il prodiguait des conseils qui indiquait son rang. Les débutants buvaient littéralement ses paroles et si ses gestes étaient aussi théâtrales qu'inutiles, Yumiko eut un vague sourire en repensant à elle-même.

A ses côtés, une femme d'une grande beauté semblait lui tenir compagnie. Ses traits indiquaient clairement qu'elles provenaient toute deux du même clan, mais elle ne sut dire si ce fut par plaisir ou pour mission qu'elle côtoyait l'ancêtre. Une animosité certaine venait de naître entre les deux courtisanes.

» Shosuro Yumiko
» Harukô Bayushi